Photographe kenyane et artiste la plus en vue de sa génération, Thandiwe Muriu a conquis un public international avec ses portraits de femmes noires sur fond de tissus colorés. Trois ans après sa première exposition parisienne, sa série Camo fait l’objet d’un livre paru en avril et présenté à la Biennale de Venise (20 avril-24 novembre). Portrait d’un talent fulgurant.
Elles nous regardent droit dans les yeux, sans sourire, et semblent nous défier de détourner le regard. Leur peau noire et sombre se détache de l’ankara dont elles sont habillées et qui sert de toile de fond dans laquelle chaque personnage a l’air de disparaître. L’illusion d’optique est parfaite. Invisibles et pourtant immanquables, les modèles dégagent une puissance quasi hypnotique. Intitulée Camo, pour "camouflage", cette série de clichés porte bien son nom. D’abord saisi par la force de la composition, l’œil s’arrête ensuite sur les détails. Lunettes, accessoires de coiffure, bijoux, tous sont créés à partir d’objets usuels transformés (brosses, peignes, bouchons, éponges, rouleaux à cheveux…). Pour Thandiwe, c’est une façon de célébrer l’ingéniosité des artisans de rues, que les Kenyans appellent juakali ("soleil chaud", en swahili), car ils travaillent en plein soleil. À l’instar de ces artefacts hétéroclites, chaque détail rend hommage à la culture africaine, et l’ensemble procède d’un long processus créatif qui commence par la recherche de la pièce d’ankara, dont les boutiques locales regorgent. "Je cherche des combinaisons de couleurs audacieuses, excitantes et pleines de vie. Je pense que chaque imprimé a une personnalité et je m’efforce de créer une tenue qui donne vie à l’imprimé", explique Thandiwe dans une interview à Vogue. Viennent ensuite la coiffure, toujours inspirée de modèles traditionnels revisités, puis le proverbe qui va servir de sous-titre à la photo. Tout ce travail sur les tissus, les coiffures, les accessoires et les dictons, Thandiwe a décidé de le consigner dans un livre, paru le 16 avril aux éditions Chronicle Chroma.(...)
Stéphanie O’Brien - Forbes Afrique